Oscars 2021 `
Une cérémonie en demi-teinte `
Alors que la pandémie de Covid-19 bouleverse le monde depuis plus d'un an, les conditions de la cérémonie, étrange, organisée au peigne fin par le réalisateur Steven Soderbergh, dans la gare principale de Los Angeles, Union Station, et peuplée de films que malheureusement peu de gens ont eu l’occasion de voir en salles – ont contraint les producteurs à adapter leur dispositif. En effet l’obligation de sortie à Los Angeles pour concourir a été exceptionnellement levée.
Malgré quelques quelques décrochages par satellite dans le monde entier pour certains nommés, la célébration s'est vue plutôt figée. Frances McDormand a même invité les téléspectateurs à quitter leur canapé : « Regardez notre film sur le plus grand écran possible. Et un jour, très, très bientôt, emmenez tout le monde, vous savez, dans un cinéma, côte à côte dans ce lieu sombre, et regardez tous les films qui sont représentés ici ce soir. »
Cette 93ème cérémonie a sacré une fois pour toutes le film Nomadland, après une série de victoires lors de la saison des prix d’Hollywood : meilleur film, Chloé Zhao a obtenu la statuette de la meilleure réalisatrice – accordée à une femme pour la deuxième fois seulement, dans l’Histoire ; et son interprète principale, Frances McDormand, est meilleure actrice, pour la troisième fois de sa carrière (après Fargo, en 1997, et 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance, en 2018). Elle rejoint le club des triplement couronnées Meryl Streep, Ingrid Bergman et Katharine Hepburn.
Nomadland crew.
Dans la compétition entre les plateformes de streaming et le grand écran, Netflix, qui avait cumulé un record de 36 nominations, a bien obtenu l'exploit de repartir avec 7 statuettes (un autre record pour un site de vidéo à la demande) : Oscars techniques (maquillage/coiffure et costumes pour Le Blues de Ma Rainey et décors et photographie pour Mank), le prix du documentaire (La Sagesse de la pieuvre) et enfin celui des meilleurs courts-métrages (animation et traditionnel). Il devance tous les studios traditionnels – mais ces derniers ont souvent opté pour un décalage (souvent des décalages successifs, plutôt...) des sorties de leurs films en attendant des jours meilleurs...
Après des années de polémique sur le manque de diversité et d’ouverture aux femmes de la part de l’Académie des Oscars, la presse et le monde du cinéma avait de grandes attentes durant la soirée ; la promesse a été tenue, avec des femmes récompensées (Chloé Zhao, donc, mais aussi la britannique Emerald Fennell pour le scénario original de Promising Young Woman) et des stars du Black Hollywood en animateurs pour remettre les prix (Regina King, Angela Bassett, Halle Berry, Zendaya…).
De plus, de nombreux films relatant l’histoire de la communauté afro-américaine ont été mis en avant, notamment Judas and the Black Messiah (meilleur second rôle masculin pour Daniel Kaluuya, meilleure chanson), sur la vie et l’assassinat du leader des Black Panthers à Chicago Fred Hampton. L’acteur-réalisateur-producteur Tyler Perry a également été récompensé d’un prix honorifique pour son action humanitaire.
Regina King
L’actrice et réalisatrice Regina King, à qui est revenue l'honneur mais aussi la crainte d’ouvrir la cérémonie, a résumé ainsi la situation difficile : « Si les choses s’étaient déroulées différemment la semaine dernière à Minneapolis, j’aurais peut-être échangé mes talons hauts contre des chaussures pour manifester. Je sais que beaucoup d’entre vous, à la maison, cherchent leur télécommande [pour changer de chaîne] lorsque vous avez l’impression qu’Hollywood vous fait la leçon. Mais en tant que mère d’un fils noir, je connais la peur avec laquelle tant de gens vivent et que la célébrité et l’argent ne changent pas. Mais ce soir, nous sommes ici pour célébrer. »
« S’il vous plaît, ne soyez pas indifférent à notre douleur », a demandé de son côté le comédien Travon Free, venu recevoir le prix du meilleur court-métrage pour Two Distant Strangers, l’histoire d’un dessinateur noir enfermé dans une boucle temporelle qui voit sa journée se terminer invariablement par son meurtre par un policier.
Autre gagnant de la soirée, The Father, l’adaptation de la pièce de Florian Zeller, pour laquelle le romancier français a obtenu le prix du meilleur scénario adapté.
Olivia Colman à la cérémonie.
La soirée a été bonne pour les français, avec un lauréat du côté du meilleur son (Nicolas Becker, Sound of Metal), un autre du côté du court-métrage documentaire, dont la productrice, Alice Doyard, a conclu son intervention d’un retentissant « vive la France » après avoir dédié le prix accordé au film Colette, sur une résistante française, « aux femmes du monde entier, de tous les âges, qui unissent leurs forces et luttent pour la justice ».
La cérémonie s'est malheureusement terminée sur un ton amer avec le prix du meilleur acteur plutôt que celui du meilleur film, (comme ç'en est l’habitude), attribué à Anthony Hopkins absent, là où on attendait une séquence émotion autour de Chadwick Boseman, mort en 2020...
L’émotion, inattendue, était en fait venue bien avant, lors du discours poignant du réalisateur Thomas Vinterberg (meilleur film étranger pour Drunk) évoquant sa fille disparue dans un accident de voiture au début de son tournage : « Nous avons fini par faire ce film pour elle, comme son monument. Alors, Ida, c’est un miracle qui vient de se produire. Et tu fais partie de ce miracle. Peut-être as-tu tiré des ficelles quelque part. Je ne sais pas. Mais celui-ci est pour toi. ». Les droits de remake du film danois ont été achetés par la société de Leonardo Dicaprio. L'acteur devrait reprendre le rôle tenu par Mads Mikkelsen dans l'original. Un peu prématuré tout de même...
A noter également le palmarès du meilleur film documentaire My Octopus Teacher : après dix ans de travail, “La Sagesse de la pieuvre” est né d’un projet vidéo personnel du cinéaste sud-africain Craig Foster, qui souhaitait renouer avec la nature en observant une femelle mollusque lors d’une plongée libre près du Cap.
Craig Foster en plongée.
Pippa Ehrlich, co-réalisatrice.
Craig Foster a filmé leurs interactions et a été de plus en plus ébloui par la façon qu’elle fabriquait des outils à partir de coquilles, s’enrouler dans des rubans de varech pour éviter d’être repérée, déjouer un requin pygmée et adapter ses techniques de chasse pour envelopper crabes, homards et poissons. Pour le réalisateur, sa relation avec la pieuvre lui a appris la fragilité de la vie et le lien avec la nature, et l’aidant même à devenir un meilleur père.
Le palmarès complet :
Film : Nomadland
Réalisateur : Chloé Zhao (Nomadland)
Actrice : Frances McDormand (Nomadland)
Acteur : Anthony Hopkins (The Father)
Second rôle féminin : Youn Yuh-jung (Minari)
Second rôle masculin : Daniel Kaluuya (Judas and the Black Messiah)
Scénario original : Emerald Fennell (Promising Young Woman)
Scénario (adaptation) : Christopher Hampton et Florian Zeller (The Father)
Musique originale : Trent Reznor, Atticus Ross et Jon Batiste (Soul)
Chanson originale : Fight for You (Judas and the Black Messiah ; musique de H.E.R. et Dernst Emile II ; paroles de H.E.R. et Tiara Thomas)
Film en langue étrangère : Drunk (Thomas Vinterberg)
Film d’animation : Soul
Documentaire : La Sagesse de la pieuvre
Maquillage et coiffure : Sergio Lopez-Rivera, Mia Neal et Jamika Wilson (Le Blues de Ma Rainey)
Costumes : Ann Roth (Le Blues de Ma Rainey)
Décors : Donald Graham Burt, Jan Pascale (Mank)
Photographie : Erik Messerschmidt (Mank)
Montage : Mikkel E. G. Nielsen (Sound of Metal)
Son : Nicolas Becker, Jaime Baksht, Michelle Couttolenc, Carlos Cortés et Phillip Bladh (Sound of Metal)
Effets spéciaux : Andrew Jackson, David Lee, Andrew Lockley et Scott Fisher (Tenet)
Court-métrage : Two Distant Strangers (Travon Free et Martin Desmond Roe)
Court-métrage d’animation : If Anything Happens I Love You (Will McCormack et Michael Govier)
Court-métrage documentaire : Colette (Anthony Giacchino et Alice Doyard)
Full list here : https://abc.com/shows/oscars/collection/winners
Comments